Vilnus Atyx





Le gambit




Le gambit est une nouvelle écrite il y a quelques années et que j'ai remaniée récemment afin de la déposer sur Scryf. Il y est question d'échecs et d'enfermement (on peut donc y voir une certaine forme de parenté avec Zweig).

En voici le début :

« Maman. Ma chère Maman.

Voilà plusieurs mois que je te laisse sans nouvelles. J’aurais voulu t’écrire, bien sûr, mais il eut fallu pour cela que j'en eusse le droit. Or, je reste confiné dans une cellule minuscule et sordide, d'où mes nuits paraissent aussi longues et désœuvrées que mes journées. Comme tu dois t’inquiéter de me savoir en prison. À supposer que tu n'ignores pas tout de ma disparition. J’espère simplement qu’ils ne t’ont pas tourmentée. Comme tu me manques… Heureusement lorsque je ferme les yeux, tu m'apparais. L’odeur du pain grillé, la tendresse de tes mains usées, la chaleur de ton étreinte bienveillante sont autant de réminiscences qui m'aident à supporter la paillasse, le froid et la pénombre. »

J'imagine que c'est ainsi que j'aurais commencé cette lettre. Parfois, je m'offre la liberté de rédiger mentalement une lettre à un proche, ma mère en général. Mais j'ai remarqué qu'à défaut de noircir du papier, je noircis mon humeur, le réconfort cédant vite la place à la mélancolie... Alors, j'essaye d'éviter.

Puis, comme hier, avant-hier, et tous les jours qui ont précédé, je reprends mon histoire depuis le début. Je ressasse, me répète les détails de cette triste affaire, même si la recherche d’une issue à mon invraisemblable situation me semble complè-tement vaine...

Conscrit, je suis depuis deux ans et demi incorporé au 2e régiment d’infanterie des troupes royales. Jusque récemment, les jours se succédaient au rythme des marches, revues d’effectifs, manœuvres, entraînements au corps à corps et autres levers de drapeau.

Ce matin-là, j’étais de garde, encore bien ensommeillé. Le ciel rougissait à peine. Un camarade, lui aussi à demi endormi, vint me remplacer, avec deux heures d’avance. Il m’informa qu’un officier me faisait quérir, qu'il m’enjoignait de le retrouver sur le champ à l'entrée principale de la caserne. Je m'y rendis prestement.

Effectivement, on m’attendait. Un capitaine portant le sabre au côté était occupé à se lisser la moustache tout en observant vaguement les détails de la guérite d'un troufion visiblement fort impressionné. Je m’approchai, puis mobilisai toute ma raideur pour lui renvoyer le salut réglementaire. L’officier vérifia mon identité pendant que je restais au garde-à-vous, tentant désespérément de garder les yeux fixes et ouverts, en attendant de connaître l’objet de sa visite.

— J’ai pour mission de vous mener en ville. Apprêtez-vous, nous partons sur-le-champ. N’emportez ni arme, ni paquetage.

Le ton était froid, direct, concis, sans équivoque... militaire.

— À vos ordres. Dois-je en référer à mon supérieur ?

— Non, lâcha laconiquement l’officier.

Je ne m’aventurai pas à éprouver davantage la loquacité de ce gradé et m’exécutai avec empressement. Bien que matutinale, cette escapade imprévue venait rompre la monotonie de la vie en garnison. Je comptais bien profiter de cette aubaine.

Comme il l’avait annoncé, l’officier nous fit mener en ville. Nous pénétrâmes dans un imposant bâtiment. Sa fonction était inscrite sur son fronton : « Ministère de la Guerre ». Mon guide, qui avait l’air de connaître les lieux, me fit passer de cabinets en cabinets, me fit traverser couloirs, vestibules, escaliers, salons et salles d’attente. À chaque fois qu’on lui demandait de montrer patte blanche, il sortait invariablement le même document. Visiblement, celui-ci produisait son petit effet, puisqu’on le laissait ensuite accéder à la pièce suivante sans délai.

Nous arrivâmes enfin dans un salon fort cossu. Le ton du capitaine lorsqu’il formula sa requête me fit pressentir que c’était là le terme de notre périple. À ce stade, on ne m’avait toujours pas indiqué l’objet de ma venue.

On me dit alors de patienter, que le Ministre viendrait me chercher après avoir réglé quelque affaire. « Le Ministre lui-même me reçoit, pensais-je… quelle bizarrerie… » Je commençais à échafauder quelques élucubrations lorsque l’on m’introduisit. Mon guide me laissa là, se fendit d’un salut militaire et tourna les talons.

Le Ministre de la Guerre me reçut de manière courtoise, m’invita à m’asseoir, puis m’exposa directement l’objet de ma présence sans autre forme de cérémonie : il m’avait convoqué pour mes talents échiquéens. Le Ministre m’indiqua qu’il avait une partie fort importante à jouer dans deux mois, et qu’il souhaitait que je devienne son entraîneur jusqu’à cette partie. S’intéressant aux échecs depuis longtemps, joueur d’un niveau modeste lui-même, il avait entendu parler de moi à propos d’un tournoi entre soldats que j’avais remporté, et on lui avait vanté mes talents. Et si je ne me sentais pas en mesure d’assumer la tâche d’entraîneur, il me proposait tout de même de l’affronter pour quelques parties.


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Contenu publié le 01-01-2012 à 04:00



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