Vilnus Atyx





Ôte-toi de mon soleil



Ôte-toi de mon soleil n'est pas une fiction, ni franchement de la littérature. Je décrirais cela plutôt comme la mise en images, en perspective, et en contexte des principales idées de la pensée cynique.

L'idée est de "vulgariser" la pensée cynique antique en s'appuyant sur des illustrations, dans la logique des philosophes cyniques qui s'érigeaient en exemple de leur philosophie : c'est-à-dire en utilisant la force de l'image pour marquer les esprits.

Je finirai avec cette citation de Cioran : "Pourquoi pense-t-on si rarement aux cyniques? Parce qu'ils ont tout su et qu'ils ont tiré les conséquences de cette suprême indiscrétion? Il est sans doute plus commode de les oublier. Car leur manque d'égard pour l'illusion en fait des esprits avides d'insoluble." (in Des larmes et des saints)

En voici un extrait (pp. 32-36) :

[...]



Diogène et l'autorité

En fait, Diogène rejetait quasiment toute forme d'autorité. Quasiment, car lui-même s'était choisi Antisthène pour maître par exemple, ou reconnaissait le besoin d'obéissance des enfants. Mais hormis quelques rares exceptions, sa philosophie était libertaire. La domination des puissants ou même de l'État lui était intolérable. Voyant un jour les magistrats, appelés hiéromnémones, emmener un homme qui avait volé une fiole, il dit : « Les grands voleurs emmènent le petit. »

C'est que la logique de l'État est rarement celle des individus, et ses finalités contreviennent régulièrement à l'intérêt général et à la liberté individuelle. Dès lors, en toutes circonstances Diogène fait valoir sa volonté de demeurer un esprit libre.

L'exemple sans doute le plus frappant est paradoxalement celui de sa captivité. Alors qu'il se rendait à Égine par la mer, il fut fait prisonnier par des pirates, puis mis en vente. On l'interrogea alors sur ce qu’il savait faire, il répondit : « Commander aux hommes. » S’adressant ensuite au héraut, il lui dit : « Demande si quelqu’un veut acheter un maître. » Ensuite, comme on lui défendait de s’asseoir, il remarqua : « Qu’importe ? On achète bien les poissons sans s’inquiéter de comment ils sont placés. » Dans ces circonstances difficiles, et alors que sa vie est potentiellement en jeu, comme lors de ses rencontres avec Alexandre, Diogène use de la provocation.

Ses forfanteries ne lui portèrent finalement pas préjudice, puisqu'il fut acheté par Xéniade, qui s'avérera magnanime et lui confiera l'éducation de ses enfants. Diogène fidèle à ses principes, lui dit tout de suite que, quoiqu’il fût son maître, « il devrait lui obéir, puisqu'il était philosophe, de même qu’on obéit à un médecin ou à un pilote, sans s’inquiéter de savoir s’ils sont esclaves ». Voilà donc où Diogène place la légitimité nécessaire à l'autorité : dans la sagesse du philosophe...





Anaximène et les orateurs

Comme Antisthène, qui disait « La vertu est avare de mots ; le vice, lui, bavarde sans fin », Diogène considère avec la plus grande méfiance ses contemporains qui abusent de leurs talents oratoires. Ainsi, il se plait par exemple à ridiculiser les sophistes qui, en affectant d'user de sagesse, tiennent des raisonnements futiles, produisent des pensées bien peu pertinentes, à milles lieues du matérialisme cynique.

Un sophiste tirait pour conclusion d’un syllogisme, qu’il avait des cornes ; Diogène se toucha le front et dit : « Je n’en sens pas. » Un autre ayant nié le mouvement, il se leva et se mit à marcher. Entendant quelqu’un discourir sur les phénomènes célestes, il lui dit : « Depuis quand es-tu revenu du ciel ? »

Quelques évidences suffisent généralement à démontrer la vacuité de nombre de raisonnements trop alambiqués. Là aussi, Diogène préfère la simplicité. Il appelait par ailleurs les orateurs « les serviteurs de la populace » et leurs couronnes « des bulles de gloire ». Un jour, comme quelqu’un lui demandait quels étaient les animaux dont la morsure était la plus dangereuse, il utilisa tout naturellement la métaphore animalière pour critiquer les beaux parleurs : « Parmi les animaux sauvages, dit-il, c’est le calomniateur, et parmi les animaux domestiques, le flatteur. »

Toujours dans son style démonstratif, lors d'une dissertation du rhéteur Anaximène, Diogène tira tout à coup un poisson salé de sa besace et l'exhiba. Il détourna ainsi l’attention des auditeurs. Et comme Anaximène se fâchait, il se contenta d'asséner, narquois : « Un poisson d’une obole a mis fin au discours d’Anaximène. » La rhétorique cynique ? Dans les actes plus que dans les discours.

[...]


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"Ôte-toi de mon soleil" est aussi disponible en version papier chez TheBookEdition (70 pages - 15€).




Contenu publié le 01-01-2012 à 08:00



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