Vilnus Atyx





Médiacratie, le culte du mensonge?




En cette fin de campagne présidentielle, je voudrais signaler ici plusieurs errements de certains médias somme toute finalement assez récurrents. L'exercice auquel je propose de me livrer n'est en rien la dénonciation aveugle de toute une corporation. Non, juste une alerte sur le comportement de certains (il faut bien reconnaître que ce sont souvent ceux qui ont la parole dans les médias dominants).

Le premier d'entre eux est une forme de paresse intellectuelle. Il est bien plus facile de se couler dans la pensée relayée ailleurs que de construire ses propres avis. L'effet d'entraînement est dévastateur, puisque une caricature émise à un endroit sera d'abord reprise à l'identique une ou deux fois, puis elle deviendra légitime ("on dit beaucoup que", "j'ai lu dans la presse que" ou "les gens disent que"). A la fin, la question devient une information, et quasiment un passage obligé pour le journaliste.

L'exemple qui m'a frappé récemment concerne le candidat du Front de Gauche (je confesse un certain parti pris), dont on a entendu dans la presse qu'il ferait l'objet d'un certain culte de la personnalité. Il convient d'abord de rappeler ce que recouvre cette notion du culte de la personnalité : en principe cette notion est appliquée aux dictateurs en exercice, qui font l'objet d'une adoration entretenue par leur régime. C'est dire comme cette appellation est avant tout insultante, mais aussi déplacée s'agissant d'un candidat. Bien sûr, c'est très offensant également pour l'intelligence des gens qui soutiennent le dit candidat. A l'origine de ce thème utilisé à propos de Jean-Luc Mélenchon, il faut sans doute voir quelque jalousie sur son succès, ses talents d'orateurs, et sur la capacité du Front de Gauche à mobiliser des sympathisants. Une fois la thèse émise, on peut la colporter de plateau en plateau, de manière à délégitimer le mouvement populaire, ensuite on pose la question au candidat lui-même (cf Pujadas : "Est-ce qu'il n'y a pas un paradoxe avec le culte de la personnalité dont vous faites l'objet?"), on assène ensuite plus qu'on ne demande (cf Mazerolle "vous êtes presque devenu un gourou") et enfin, on pourra s'appuyer sur la presse elle-même pour se justifier (cf Lapix "Vous êtes la rock-star de cette campagne, on hurle votre nom dans les meetings, on s'évanouit.") Tout cela se dit au mépris des faits (rarement le nom d'un candidat aura été aussi peu scandé par ses militants), et de ce que l'on peut observer chez d'autres candidats (les foules qui crient "Nicolas! Nicolas" à droite ou "François! François!" au centre ne manquent pas. Je n'insiste pas sur ce que suggère l'utilisation du prénom).

C'est cette inégalité de traitement que j'ai voulu mettre en lumière dans la vidéo ci-dessous.

La deuxième tendance problématique est celle qui consiste à vouloir réhabiliter maladroitement la fonction journalistique. Nous avions observé en 2007 plusieurs candidats s'en prendre aux journalistes, les accusant d'être partisans ou de céder à la "pensée unique", de faire preuve de complaisance avec les favoris, et de manquer de déontologie. Et qu'observe-t-on lors de cette campagne ? Une tentative de re-crédibilisation de la part des journalistes. Un François Lenglet érigé en star des plateaux télé parce qu'il utilise (mal) excel et la multiplication des sites de fact-checking, (les décodeurs, la rubrique désintox, le bobaromètre, le véritomètre...) sont autant de symptômes de cette tendance... Mais les changements sont cosmétiques car les résultats ne sont pas au rendez-vous, loin s'en faut : Sarkozy a rarement dit autant de mensonges, aucun d'entre eux n'ayant été relevé en direct, et on a jamais entendu autant de contre-vérités sur les ondes, l'expérience Lenglet prouve que ses graphiques fallacieux sont mis au service de son idéologie libérale, et les sites de fact-checking (l'idée est de passer au crible les discours des politiques et d'y vérifier les faits et chiffres annoncés) pêchent tant au niveau de leur pertinence (par exemple le site d'Owni/iTélé compte comme faux une inexactitude minime sur un chiffre, même si l'erreur est dans le sens de l'amoindrissement du discours de celui qui l'énonce) que de leur impact (vérification à froid, non mise en avant, audience infime par rapport aux canaux de diffusion de la parole des candidats).

Une parfaite illustration a été donnée par LCP le 17 avril. Patrick Chêne, animateur de la matinale, réalise une interview de Jean-Luc Mélenchon lors de laquelle il s'appuie, croyant mettre en avant l'impéritie du programme du Front de Gauche, sur un chiffrage de l'Institut de l'Entreprise. Lorsque Mélenchon conteste la source (il ne nie pas que le programme du Front de Gauche est coûteux (quoique équilibré), il prévient simplement que certaines hypothèses ou conclusions de l'Institut de l'Entreprise sont "grotesques"), M. Chêne énonce benoîtement que l'institut remplit son rôle honnêtement. Mélenchon explique alors qu'il s'agit d'un institut lié au patronat, et que tous les membres de son conseil d'administration sont des patrons du CAC40.
Le lendemain, sur le plateau de LCP, entouré de ses éditorialistes, M. Chêne déclare alors tranquillement que le candidat du Front de Gauche "a une faculté à mentir qui est formidable, à dire des choses complètement fausses" et donne pour seul exemple ses propos sur l'Institut de l'Entreprise, "ce qui est absolument faux" déclare-t-il. Oui mais voilà...

D'abord les faits : d'après mes vérifications, sur les 23 membres du Conseil d'Orientation de l'Institut de l'Entreprise :
- 20 sont des patrons d'entreprises du CAC40 (10), d'anciens patrons du CAC40 (6), ou des patrons d'entreprises cotées sur d'autres places boursières (Dow Jones, DAX30...) (5)
- 2 sont des patrons d'entreprise du NEXT 150, c'est-à-dire d'entreprises juste un cran en dessous du CAC40
- le 23ème et dernier est Pierre-Sébastien Thill, membre de la commission « Attali », président du directoire de CMS Bureau Francis Lefebvre (cabinet d'avocats international spécialiste fiscalité) qui affirme sur son site internet compter parmi ses clients : « un grand nombre de clients appartenant au Fortune 500 » et donc au CAC 40.

Donc Mélenchon a peut-être péché par hyperbole pour M. Thill. Cependant non seulement le fond est vrai, il s'agit d'un institut aux mains du patronat, mais tous les autres membres du conseil d'orientation sont des grands patrons.

Voilà ce que j'ai voulu illustrer avec cette vidéo :

Alors, comment expliquer cette sortie de M. Chêne? On peut avancer le système médiatique, le parti pris, l'ignorance. Je vois une explication supplémentaire grâce à la petite phrase lâchée par M. Chêne suite à sa sortie outrancière : "A nous de rétablir la vérité quand nous le pouvons" dit-il.

Oui, il me semble bien que Patrick Chêne se laisse emballer par son envie de justifier sa fonction journalistique et veut se poser en vérificateur-qui-ne-se-lasse-pas-d'informer-le-peuple-contre-ces-voyous-de-candidats-qui-font-rien-qu'à mentir-surtout-les-petits. Confirmation ici de cette volonté de se redonner du crédit. Confirmation également que cette manœuvre n'est pas profitable à la qualité du débat.

Pour ne pas rester sur des impressions uniquement négatives, voilà quelques pistes possibles qui nous permettraient de jouir d'un journalisme de qualité :
- améliorer la réactivité et les techniques de fact-checking,
- déconcentrer les entreprises de médias,
- mettre en place et soutenir des coopératives journalistiques,
- imposer les comités de rédaction dans tous les organes de presse,
- réformer/supprimer le csa qui ne dispose d'aucun pouvoir concret (qui ne l'exerce pas en tout cas),
- améliorer les lois sur les sondages (faire appliquer l'existant déjà) et imposer la publication des données brutes des dits sondages,
- encourager le journaliste citoyen...

Sur ces sujets, je ne saurais que trop vous conseiller les sites d'@rret sur images et d'acrimed. Je signale également la sortie du film de Pierre Carles : DSK, Hollande, etc..




Contenu publié le 19-04-2012 à 03:00



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